Chaque matin depuis quelques temps je me réveille dans un état de joie indicible.

Est-ce parce que mes journées sont vierges de tout engagement, et que je laisse venir chaque instant à sa convenance avec son lot de surprises ?

Sans la moindre résistance ?

Est-ce parce que je prends le temps de jouir de chaque instant dans son éphémérité ?

Je prends le temps du temps.

Je regarde la nature ensauvagée tout autour, entre jachère et forêt, et je me dis que je fais partie du tableau.

Cette paix que m’inspire le lieu est en moi, ou plutôt, je suis elle aussi au même titre que les arbres, les papillons, les herbes hautes qui se laissent bercer par le vent, coucher par la pluie, griller par le soleil sans autre état d’âme.

L’accueil total de ce qui survient.

Quelle détente en vérité, quelle légèreté.

Je ne sais plus si je « suis » ou au contraire si je ne suis plus en tant qu’individu , confondue avec ce qui est là.

En fait, seul le « je » semble ne plus avoir vraiment de place.

Alors il me vient que cette joie est une illusion, tout comme le chagrin.

C’est réel et irréel, cela n’a pas d’importance à proprement parler.

Cela semble étrange à formuler, quasi inexprimable.

Qu’est-ce qui est réalité, qu’est-ce qui est illusion ?

J’ai choisi un tableau de Dali pour illustrer mon propos, Le marché aux esclaves.

On peut y voir le sujet annoncé, et aussi le buste de Voltaire.

Quand on voit l’un on ne voit plus l’autre.

Au premier regard, certains voient un thème, une illustration, d’autres en voient un autre.

C’est un seul tableau.

Deux sujets différents y sont peints, ou dessinés, de la même façon que les peintures et décorations en trompe-l’œil, nous donnent l’illusion d’une pièce  plus grande, d’un immeuble, d’un décor qui n’existent pas.

Pourtant l’œil les voit sans erreur possible.

Ils existent et n’existent pas.

Notre vie et nos émotions me semblent semblables.

Que vois-je en premier ? Quelle émotion me surprend en premier ?

Est-ce plus vrai parce que c’est la première chose vue ou sentie ?

En m’attardant sur le tableau, je vois l’autre sujet.

En pensant à ma vie je sens d’autres émotions.

Où est la réalité ? Où est l’illusion ?

L’illusion est-elle une autre réalité ?

La réalité est-elle une sorte d’illusion ?

Il me semble que tout est ainsi.

Tout est et n’est pas à la fois, et je suis là et n’y suis pas tout pareillement car ce que je suis est indéfini, infini, alors ce ne peut être situé réellement en un espace et un temps déterminés.

Angélica Mary

Illustration – Le marché aux esclaves – Salvador Dali.

 

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